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27 mars 2010 6 27 /03 /mars /2010 23:31

J'ose à peine employer cette formule assez banale, qui a tellement perdu de son sens à force d'emplois plus ou moins à propos. Mais j'ai pourtant envie de dire qu'on ne sort pas indemne de la lecture de ce livre, écrit aux États-Unis en anglais par Jan Karski en 1944, alors que la guerre n'est même pas encore terminée en Europe où son issue restait, malgré tout, assez incertaine.

 

Karski, j'ai fait sa connaissance, si on peut dire, à travers le livre de Yannick Haenel qui a fait un peu de bruit dans le Landerneau littéraire, en particulier parce que Claude Lanzmann (dont l'autobiographie récente, Le lièvre de Patagonie, m'avait laissé un goût étrange) a plus que vivement réagi contre un ouvrage et un écrivain qui avait pris le risque de ré(?)écrire, à sa façon, l'histoire d'un homme au destin extraordinaire. J'avais quitté le livre de Haenel avec un certain malaise, en particulier du fait de cette troisième partie, de pure invention, où il osait un certain nombre d'hypothèses, contestées par Lanzmann, et peut-être tout à fait contestables. Pourtant, ayant eu la chance de pouvoir assister à une conférence donnée par Yannick Haenel dans un cadre relativement intime où le dialogue était possible, j'ai cru pouvoir déceler chez cet homme encore jeune une certaine forme d'admiration, de respect, voire d'humilité pour son personnage, tout en voulant conserver sa totale liberté d'auteur. Son erreur, si elle existe, est peut-être d'avoir choisi un sujet relativement tabou, alors que les historiens n'ont pas terminé leurs investigations, ou que leurs résultats ne sont pas encore entrés dans la conscience collective.

 

Le livre de Karski, celui qu'il a rédigé pour, avant que sa mémoire ne le trahisse, porter témoignage nous montre tout un pan de l'Histoire qui ne nous est pas familier. Les manœuvres de la France et de l'Angleterre pour freiner la mobilisation polonaise à l'été 1939 “pour ne pas provoquer Hitler”, la spontanéité et la rapidité de la mise en place, en Pologne même, d'une Résistance à la fois civile et militaire alors que l'occupation allemande était d'une brutalité inouïe, les multiples techniques mises au point pour sauver (ou éliminer) les résistants importants pris par les nazis, assurer l'éducation et la formation de la jeunesse, faire vivre les réseaux d'entraide et de solidarité...

Un chapitre, celui qui a vocation à être le plus connu, est consacré à l'incroyable voyage que Karski a fait à l'intérieur même du Ghetto à Varsovie, et dans un des camps d'extermination situé non loin de la capitale. Il écrit ce qu'il dit avoir vu de ses yeux, et il n'y a pas de raison de ne pas le croire, et il n'est pas décent de paraphraser son témoignage.

 

Il nous parle de son séjour aux États-Unis, de sa rencontre avec Roosevelt, qui n'a que très peu à voir avec ce qu'écrit Haenel en tant que romancier, de ses efforts pour faire connaître la situation polonaise. En des termes qui paraissent parfois très froids, très loin de la réalité brûlante qu'il porte encore dans sa chair, puisqu'il a été sévèrement torturé par les nazis.

 

C'est cette distance, ce refus des effets, qui rend son texte si proche, si passionnant, si humain même. C'est cette vie que nul ne peut imaginer, et le destin de cet homme de bonne volonté, qui m'ont touché, comme seule la vérité a le pouvoir de le faire.


 

Mon témoignage devant le monde, Histoire d'un État clandestin, Jan Karski. Robert Laffont, Paris, 2010. Traduction anonyme de l'anglais (États-Unis) révisée et complétée, pour la présente édition, par Céline Gervais-Francelle.

 

Jan Karski, roman, Yannick Haenel, NRF Gallimard, Paris, 2009.

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"Lorsque les pères s'habituent à laisser faire les enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte de leurs paroles, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque finalement les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus, au-dessus d'eux  l'autorité de personne alors c'est là en toute jeunesse et en toute beauté, le début de la tyrannie."
Platon.

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